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Février de cette année-là…

By 22 février 2021mars 25th, 2021Journal de bord

Février 2021. 1/2

Au mois de février, Les jours rallongent, Peu à peu, chantait Maxime Le Forestier en 1973.

Il se peut que ça ne dise rien au moins de 30 ans… Mais la culture c’est aussi ce patrimoine immatériel des petits airs que l’on fredonne, qui forme une connivence nationale, souvent intergénérationnelle (je n’étais pas née non plus cette année-là) et qui rayonne à l’international.

Au passage, ça fait du bien d’entendre qu’il y a 50 ou 70 ans (la chanson évoque 1949) le monde était aussi (déjà) en prise à des tensions internationales, des hôpitaux sous pression, des scandales, des phénomènes climatiques… C’est toujours bon de sortir de cette impression de suprématie perpétuelle du présent… Bien que cette année-ci soit en effet remarquable : nos journées ne rallongent pas et se terminent toutes à 18h avec le couvre-feu toujours en vigueur.

En 2012, pour expliciter ce phénomène des petits airs que l’on fredonne, Le Monde publie une vidéo éloquente sur l’exception culturelle en matière économique intitulée « La Parabole des Tuileries », avec pour sous-titre « Quelques effets positifs de l’investissement public dans la culture ». L’animation explique en quelques minutes et de façon fort agréable comment la culture échappe au principe d’utilité marginale décroissante, comment l’État joue un rôle décisif de par ses financements pour amorcer l’effet multiplicateur de la consommation culturelle et calibrer son externalité positive.

En ce début d’année 2021, la culture subventionnée est fermée, seules les galeries d’art demeurent ouvertes parce que commerçantes. La réouverture devient un vœu cher des professionnels de la culture, prêts aux protocoles sanitaires les plus stricts, tandis qu’en Italie, en Espagne, en Belgique, au Luxembourg, en Pologne, en Russie ou encore à Chypre, sans mentionner plusieurs villes des États-Unis, les œuvres et les visiteurs se sont retrouvés. Louis Aliot, maire Rassemblement National de Perpignan en a profité pour formuler quatre arrêtés illégaux et ouvrir les quatre musées de sa ville : une opération politicienne radicale et bien gênante, tandis que pour tous « l’amorçage » de l’État fait tout à coup cruellement défaut.

Joseph Confravreux et Romaric Godin dans Médiapart ont cette intéressante lecture : les acteurs de la culture « se sont piégés eux-mêmes, en voulant montrer qu’ils étaient « utiles ». Ils ajoutent : « Concrètement, la culture en France étant largement subventionnée, cela signifie qu’il est beaucoup moins coûteux financièrement de compenser les pertes de ce secteur que d’un autre ». Les deux auteurs soulignent également la plus forte mobilisation des élus (et d’une grande part de la population) pour les commerces, dont l’usage social pourrait bien, au fond, être supérieur à celui des activités culturelles. Finalement, « certains ont pu s’imaginer que la culture était désormais une place imprenable de l’économie, à grand renfort de rapports mettant en avant le poids du secteur. […] Mais cette idée d’un « PIB culturel » qui représenterait « sept fois celui de l’industrie automobile »[…] s’est brisée sur le mur du coronavirus ». A force de ne plus parler que des retombées de la culture sur le tourisme et non plus de défendre l’art pour l’art, il est devenu difficile de rouvrir pour des raisons de bien-être général.

Dans le même temps, le cabinet Ernst & Young, auteur des études de références sur l’impact économique de la culture formulée sous l’angle des « Industries culturelles et créatives » (10 secteurs ; 7,6 millions d’emplois ; 643 milliards d’euros de chiffre d’affaires, porté à 90% par le secteur privé – l’audiovisuel, le jeu vidéo, les médias, la publicité, le livre… avec une balance commerciale largement positive) fait état du désastre économique du secteur sous l’effet de la crise sanitaire : 31 % de chiffre d’affaire en moins, 76% pour la musique, 90% pour le spectacle vivant. Les retombées sont là aussi indirectes : la perte des revenus de la SACEM qui va affecter les revenus des artistes à plus long terme notamment. Or que fait une entreprise confrontée à la faillite ? Elle se réinvente. Frédéric Martel de France Culture (producteur de l’émission « Soft Power ») y voit la promesse d’une « relance culturelle » voire d’un « big bang ».

En janvier, à l’agence, nous réfléchissions à la meilleure façon de répondre aux interrogations croissantes et de plus en plus pressantes de nos clients sur le potentiel d’impact de leurs projets culturels dans un contexte de finances publiques exsangues où il faudrait plus que jamais justifier du maintien des dits-projets culturels par les retombées économiques. La meilleure des réponses serait peut-être finalement le Produit Intérieur Doux, concept développé dans les années 2005 par Fazette Bordage, alors coordinatrice de la friche Mains d’œuvre qu’elle a fondé à Saint-Ouen, avec le réseau européen Art Factories, après avoir mis sur pied le Confort Moderne à Poitiers : « Ce qui compte vraiment n’est pas toujours mesurable, comment le valoriser ? Comment élargir la notion de richesse ? Pourquoi ne pas imaginer d’autres façons de compter qui tiennent compte… de ce qui compte pour nous ? »

Tu as beau me répéter, Qu’on n’a jamais rien changé, Avec des notes et des phrases, Je continue de chanter, Les doigts en forme de V chantait aussi Maxime, dans « Ca sert à quoi » !

Chaque lundi, l’agence se réunit pour faire le point sur les projets en cours. Une réunion « technique », censée passer en revue de façon pratique les dossiers, mais qui suscite toujours des questions qui dépassent largement le point d’étape, nos dossiers étant traversés par toute l’actualité, par tous les domaines de l’activité humaine et des fantasmes humains. Alors, si de prime abord un ingénieur culturel ne semble pas au cœur d’une action susceptible de produire un journal de bord trépidant, peut-être qu’en cette rentrée 2020, qui n’a peut-être que la rentrée littéraire d’inchangée, si.

Ecrit à la première personne, ce journal de bord regroupe les points de vue personnels des membres de l’équipe de l’agence, qui s’expriment librement selon leurs sensibilités et expériences individuelles, partageant ainsi l’intérêt, la curiosité et les réflexions sociétales qui les attachent à leur métier.