Septembre 2020. 1/2
En septembre 2019, le groupe SOS, actionnaire de notre agence, lance un appel à candidature auprès des maires de communes de moins de 3 500 habitants : 1000 cafés. Le projet est de contribuer, avec le soutien du Ministère de la Cohésion des Territoires et le Commissariat Général à l’Egalité des Territoires, à l’ouverture de cafés multiservices en milieu rural, proposant, en plus d’un débit de boisson et de petite restauration, contribuant au lien social, une gamme de services de proximités (pain, timbres, légumes du coin et Internet) et de services presque urbains (co-working, expo, concert, débat, office de tourisme) avec une étape obligatoire : la concertation.
En septembre 2020, le coronavirus est passé par là. Les urbains ont redécouvert l’intérêt de la campagne, certains déménagent déjà, changent de boulot ou se sont affranchis de leur bureau grâce au télétravail, tout le monde voulait déjà avant manger bio et sain, tout le monde, plus que jamais, veut manger local. Parmi toutes les consultations lancées avant-même le déconfinement (« Comment inventer tous ensemble le monde d’après ? » lancée par WWF France, la Croix Rouge et Make.org ; « Le jour d’après » lancée par 66 parlementaires…) : les circuits courts et le recours à l’agroécologie arrivent en tête, soulignée par les 50 propositions de la Convention citoyenne pour le climat en avril. Le rural, la campagne, les grandes étendues découvertes de notre pays, les terres cultivées, bref, tout ce qui est hors de la ville est à la mode.
A la tête des grands équipements culturels, rarement ruraux, on fait le lien : il faut « encore accélérer la décentralisation culturelle » mais, paradoxalement, arrêter de repousser les artistes, les forces vives de la création, hors des villes au risque de « sombrer dans le silence » (Emma Lavigne, présidente du Palais de Tokyo en introduction du Think Culture organisé par News Tank Culture au Centre Pompidou le 8 septembre). Le Palais de Tokyo aussi va investir dans les territoires ruraux. Et Emma Lavigne de relater combien elle a été marquée par le tracteur ultrasophistiqué et son unité de production de tomates exposés devant le Musée Guggenheim de New York en mars 2020 avec le titre « Countryside : the futur » (Rem Koolhas).
Le rural doit-il être considéré comme un monde distinct de l’urbain ? Quid de la mobilité des populations, ou tout simplement de leurs habitudes, de leur envie ? L’absence d’équipements culturels consacrés dans certains territoires ne signifie pourtant pas nécessairement l’absence de culture ? La décentralisation encore ? Pourquoi pas la démocratisation… L’enjeu n’était-il pas au contraire ces dernières années de sortir des cloisonnements entre cultures « légitimes » et cultures « populaires » (Déclaration du Fribourg sur les droits culturels en 2007) ? De quelles frontières à franchir et/ ou à détruire parlons-nous ?
Ruralité sonne à mes oreilles comme le retour du futur. Dans le monde d’après, pourquoi ne pas continuer de croire à ce que l’on avait commencé à bâtir avant, en l’améliorant peut-être, en allant plus loin ? Pourquoi ne pas avant tout faire œuvre de durabilité ? Gare à l’opportunisme alors que nous aurions dû réapprendre ces derniers temps à détendre le temps de la réflexion et de l’action. Gare à la surenchère dans la résilience. Dans la revue Horizons Publics « ingéniosité de la relation », « solidarité », « mutualisation », « coopération », « co-animation de lieux de vie, de lieux qui font lien,d’espaces publics hétérotopiques » sont cités par Emmanuel Pidoux, Directeur de la culture de Colomiers à côté de Toulouse, comme des maîtres-mots pour redéfinir les priorités des politiques culturelles locales sans occulter « un bassin d’envie » qui dépasse le territoire dans lequel on vit.
En somme, sortir boire un café près de chez soi, reste peut-être la première, et la meilleure des choses à faire, ou à rendre possible, en effet.
Chaque lundi, l’agence se réunit pour faire le point sur les projets en cours. Une réunion « technique », censée passer en revue de façon pratique les dossiers, mais qui suscite toujours des questions qui dépassent largement le point d’étape, nos dossiers étant traversés par toute l’actualité, par tous les domaines de l’activité humaine et des fantasmes humains. Alors, si de prime abord un ingénieur culturel ne semble pas au cœur d’une action susceptible de produire un journal de bord trépidant, peut-être qu’en cette rentrée 2020, qui n’a peut-être que la rentrée littéraire d’inchangée, si.
Ecrit à la première personne, ce journal de bord regroupe les points de vue personnels des membres de l’équipe de l’agence, qui s’expriment librement selon leurs sensibilités et expériences individuelles, partageant ainsi l’intérêt, la curiosité et les réflexions sociétales qui les attachent à leur métier.